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Francis Dufay (Jumia) : « Nous avons les armes pour battre Temu et Shein » (Jeune Afrique)
May 16, 2025Company News

Le directeur général de la plateforme africaine de e-commerce dit ne pas craindre la nouvelle concurrence imposée par les deux géants chinois et donne enfin une date pour la rentabilité de son entreprise.
Quand viendra le jour où Jumia sera rentable ? Le feuilleton tient en haleine les observateurs des premiers jours ainsi que les marchés financiers depuis la cotation de la plateforme de commerce en 2019. Et cette fois-ci Francis Dufay, directeur général de Jumia depuis 2022, a bien l’intention d'en imaginer la fin.
Après avoir réalisé un chiffre d’affaires de près de 161 millions de dollars en 2024 – en retrait de 7 % sur un an – pour un Ebitda négatif d’un peu plus de 54 millions de dollars, la plateforme panafricaine de e-commerce a annoncé,le 8 mai, un chiffre d’affaires de plus de 36 millions de dollars au premier trimestre 2025, en baisse de 18 % à taux de change constant. Par ailleurs,nombreux sont ces indicateurs financiers en berne eux aussi : nombre total de transaction sur la plateforme (ou GMV), liquidités et perte d'exploitation en hausse...
Difficile au vu de ces résultats de croire à une rentabilité imminente. C'est Pourtant bien ce que souhaite faire comprendre Francis Dufay dans cet entretien donné à Jeune Afrique avant un voyage à Lagos, dont l’objectif était d'acter le lancement officiel dans le pays de Jumia Delivery, le service de logistique que le groupe a développé pour les tiers.
Jeune Afrique : Les résultats financiers de Jumia pour ce premier trimestre 2025 sont plutôt décevants. Pourtant vous semblez optimiste pour l’avenir en vous engageant sur l’atteinte du seuil de rentabilité pour début 2027. Qu’est-ce qui nourrit cette conviction ?
Francis Dufay : La plupart des chiffres ont l’air mauvais tandis que la plupart des faits marquants de l’activité, comme l’augmentation des commandes et la croissance au Kenya ou au Nigeria, sont très bons.
Il y a deux impacts que nous essayons d’isoler par rapport aux comparaisons avec la même période de l’an dernier. Le premier ce sont les dévaluations.C’est le dernier trimestre où Jumia subit ce phénomène et qu’il est visible dans les chiffres comparés sur un an. Les dévaluations de 40 % en Égypte et au Nigeria sont intervenues respectivement en mars et en février de l'an dernier.
Mais par exemple, nos résultats de mars 2025 ne sont pas négatifs en comparaison avec mars 2024. Nous réalisons 21 % de croissance en commande et 16 % en GMV ce qui est donc cohérent avec nos indicateurs financiers.
Concernant le deuxième impact, au dernier trimestre de 2023 et premier trimestre 2024, nous avons fait beaucoup de ventes en gros en Égypte. Nous avons la capacité d’importer et de rapatrier nos liquidités et avons pu énormément distribuer sur le marché local à des distributeurs et détaillants à une période où il y avait très peu de dollars disponibles sur le marché.
Aujourd’hui, le marché égyptien connaît plutôt une phase d’abondance de dollars, donc cette activité a fortement réduit chez nous. Lorsqu’on regarde les chiffres comparés sur un an, cette décrue très forte du commerce de gros en Égypte – qui était spécifique au pays – a un impact très fort sur la GMV de notre activité sur ce marché et par conséquent sur la GMV et les revenus du groupe.
“Nos résultats de mars 2025 ne sont pas négatifs en comparaison avec mars 2024. Nous réalisons 21 % de croissance en commande et 16 %en GMV ce qui est donc cohérent avec nos indicateurs financiers.
Cette activité avait fortement boosté notre marge brute l’an dernier, car nous vendions à des prix très élevés sur le marché local puisque nous subissons des pertes de change ensuite pour rapatrier nos dollars. Il en résulte une marge brute très élevée, un EBITDA très élevé, compensé en perte de change.Notre perte nette avant impôt sur le revenu était normale. Tout cela rend notre bonne trajectoire financière compliquée à lire et à comprendre.
Si l’on met de côté cela, notre GMV est en croissance de 10 % en dollars.Donc notre coeur d’activité – la vente au consommateur – va bien et connaît des commandes en hausse de 21 % une GMV en hausse de 10 % ainsi qu'un nombre de clients en hausse de 15 %. C’est la première fois que ces indicateurs sont alignés dans ce sens. Tous nos indicateurs d’usage sont donc repartis en croissance.
L’ensemble des problèmes exogènes d’inflation et de dévaluation dans de grands marchés comme le Nigeria ou l’Égypte sont-ils définitivement derrière vous ?
Oui les problèmes liés aux risques de change sont derrière nous. La livre égyptienne et le naira sont relativement stables désormais – même un peu à la hausse sur le naira par rapport au dollar. Il n’y a pas d’écart entre le cours réel et le cours officiel dont c’est plutôt bon signe. L’Égypte a reçu plusieurs milliards de dollars donc est stabilisée pour quelques mois au moins.
Le marché égyptien semble poser beaucoup de problèmes à Jumia. Avez-vous réfléchi à quitter le pays ?
C’est un pays où les conditions macroéconomiques sont régulièrement compliquées mais cela reste un très grand marché de 100 millions d'habitants où nous sommes encore tout petits. Il est aussi plus concurrentiel car il y a Noon et Amazon mais nous avons une carte à jouer sur les classes moyennes inférieures, lesquelles ressemblent fortement à ce que l’on connaît dans d'autres pays.
“Les problèmes liés aux risques de change sont derrière nous.
En Égypte, le PIB par habitant est d’environ 3 500 dollars quand celui de la Côte d’Ivoire est de 2 500 par exemple. On est sur des physionomies de marché relativement similaires avec un niveau d’inégalités assez fort où nous savons nous adresser à des catégories dites lower class ou middle class. Et les perspectives de pénétration du marché demeurent énormes.
Le premier trimestre 2027 est le rendez-vous que vous vous donnez pour atteindre le seuil de rentabilité. Qu’est-ce qui vous rend si sûr de vous ?
Nous avons conscience que nous ne pouvons pas faire marche arrière maintenant que c’est annoncé. Mais ce sont des engagements très sérieux car,étant cotés en Bourse [au NYSE], nous ne pouvons pas livrer ces orientations sans la certitude de pouvoir les honorer – dans le cas contraire, cela relèverait de la fausse information financière et ce serait grave.
L’actuelle situation géopolitique et macroéconomique caractérisée par la guerre commerciale lancée par Donald Trump – bien que mise en pause pour le moment – ne brille pourtant pas par sa stabilité. Pourquoi choisir ce moment pour prendre un tel engagement ?
En ce qui nous concerne, nous constatons paradoxalement une stabilisation de notre environnement. Les monnaies locales commencent à se raffermir.Les économies locales tiennent, il y a beaucoup moins de problèmes macroéconomiques et l’inflation a ralenti, ce qui est très important pour la stabilité politique et le pouvoir d’achat dans les marchés où nous sommes.
Nous vendons des produits asiatiques à des consommateurs africains. Donc tout ce qu’il se passe entre les États-Unis et la Chine nous impacte peu. Ilpourrait même être bénéfique puisqu’il pourrait y avoir de gros surplus de production asiatique qui pourraient se déverser sur le continent, et nous sommes le bon intermédiaire pour absorber et redistribuer cette nouvelle offre, d’autant que nous avons toujours considéré que le problème du e-commerce sur le continent était le déficit d’offre.
Quelles seront les grandes étapes de ce chemin vers la rentabilité ?
La rentabilité vient de deux choses : des volumes et de la base de coût. On ne peut négliger ni l’un ni l’autre et nous sommes désormais capables de travailler sur les deux en même temps.
“Tout ce qu’il se passe entre les États-Unis et la Chine nous impacte peu.
Concernant la base de coût, nous avons lancé un nouveau plan au dernier trimestre 2024 sur l’étendue des pertes et profits pour réduire une fois de plus cette base en valeur absolue. Nous avons augmenté de façon modérée les commissions prélevées auprès de nos vendeurs et le prix de certains services comme le stockage dans les marchés où nous avons de la croissance.
Nous avons réduit fortement nos coûts logistiques grâce à la renégociation de nos contrats sur l’intégralité des prestations, à la réduction des fréquences de voyages sur certaines destinations et à l’amélioration de l’efficacité de nos entrepôts. Nous nous sommes aussi attaqués à la partie technologique où nous avons là aussi renégocié toutes nos licences à la baisse et nos frais d'hébergement de données.
L’impact ne se voit pas dans les chiffres du premier trimestre car les effets n'ont commencé à être constatés qu’à partir de mars et que les dates d'anniversaire des licences technologiques interviennent plus tard dans l'année.
L’autre partie concerne donc la trajectoire de croissance. Nous connaissons actuellement une progression de 20 % sur les commandes et le GMV s'en rapproche. Toute la question est de savoir comment accélérer en jouant sur quelques améliorations, comme le retour des campagnes marketing bien choisies. Tout cela nous permet d’annoncer l’atteinte d’un seuil de rentabilité début 2027.
Dans quel pays voyez-vous la plus grande marge de progression ?
Au Nigeria, nous enregistrons des volumes de commandes assez proches de la Côte d’Ivoire et une GMV inférieure à ce même pays. Cela donne une idée de la faible pénétration du marché. Nous ne travaillons correctement au Nigeria que depuis un an à peu près, donc nous sommes au tout début de l'histoire.
Si l’environnement macroéconomique s’est stabilisé, quel est votre plus gros défi restant ?
Celui de la rapidité d’exécution en interne. Et en externe ce sont les évolutions réglementaire et fiscale qui peuvent parfois être surprenantes et que nous essayons d’anticiper davantage en améliorant nos relations publiques avec les autorités locales.
“Nous avons réduit fortement nos coûts logistiques grâce à la renégociation de nos contrats sur l’intégralité des prestations, à la réduction des fréquences de voyages sur certaines destinations et à l'amélioration de l’efficacité de nos entrepôts.
Constatez-vous déjà une modification du comportement de la Chine sur ses exportations vers le continent ?
Non il n’y a pas d’effet direct pour le moment. Nous constatons en revanche une très forte hausse des activités de nos vendeurs chinois à l’international –de l’ordre de 61 % en articles vendus, soit un tiers de nos ventes en articles –qui est aussi permis par le travail que nous menons auprès d’eux pour améliorer la qualité de la chaîne d’approvisionnement et l'expérience vendeur.
Temu et Shein ont fait leur entrée l’an dernier au Nigeria, au Maroc et en Afrique du Sud. Ces acteurs aux stratégies agressives sont-ils à même de vous déstabiliser ?
Ce sont des acteurs qui font beaucoup de mal en Europe, aux États-Unis et dans plusieurs pays émergents. Nous avons vu arriver Temu au Nigeria et au Maroc mais nous pensons que nous avons déjà une marque forte et un réseau logistique plus efficace et étendu que le leur. Nous avons nous aussi un assortiment de produits chinois qui peut les battre en prix. Et nous vendons des catégories de produits qu’ils ne peuvent pas, tel que l’électroménager.
Et enfin, de la même façon que Donald Trump a tué la faille liée à l'exception de droits de douane pour les mini-colis aux États-Unis, de nombreux pays africains sont en train de faire passer des législations qui ferment la porte à de telles pratiques ou imposent un enregistrement fiscal pour les vendeurs non-résidents.
On l’a observé notamment en Ouganda et en Côte d’Ivoire, où une nouvelle loi impose aux vendeurs étrangers à s’enregistrer auprès des impôts. Cela nous remettra à terme sur un pied d’égalité avec eux et protégera les acteurs locaux.
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